Suzette: a Digital Edition

19. — Où ira Jacques ?

Quand Suzette rentra à la maison, avec son chagrin, on n'eut pas trop le temps de la plaindre ; on lisait une lettre qui, depuis le matin, attendait chez le vieux Benoît, père de Ludivine, M. Dumay, parti avant l’arrivée du facteur.

Le père Benoît, peu pressé, avait attendu pour la remettre que le cheval fut dételé, le char à bancs rentré.

Cette lettre appelait Jacques Dumay au concours* Concours. Réunion de gens ou d'élèves qui prétendent à une place ou un prix., sur la présentation de son maître M. Valon.

Or, au bout de ce concours pendaient une bourse*Bourse. Pension fondée par le gouvernement pour l'entretien d'un écolier dans un établissement d'instruction. entière ou une demi-bourse de l’État, et l’entrée dans un lycée ou dans une école d'agriculture :

Eh bien, voyons ! si le concours nous classait parmi les premiers, se déciderait-on pour le latin : hortus, le jardin, horti, du jardin, comme disait parfois le maître, ou bien pour le jardin même, pour le travail des champs ?

M. Valon avait toujours incliné de ce dernier côté ; mais M. François et M. Charlot penchèrent pour hortus, horti ; ils trouvaient très bien de pouvoir se servir de mots que tout le monde ne connaît pas ; cela vous pose un jeune homme.

M. Dumay se grattait la tête. Malgré sa vieille attache à la terre, il ne lui déplaisait pas tout à fait de voir son aîné monter en grade jusqu'à parler latin, ce qu'on n'avait pas encore fait dans la famille, devenir un jour bachelier*Bachelier. Titre qui constate qu'un élève ayant achevé ses classes latines possède bien les matières qu'il a étudiées., puis avocat*Avocat. Celui qui fait profession de défendre les accusés en justice., puis député* Citoyen envoyé par ses concitoyens dans une assemblée où se discutent les choses qui intéressent la nation....

Et ce beau spectacle de M. Jacques comptant au village et à la ville pour un personnage considérable ne blessait pas trop M. Jacqueslui-même, ni sa sœur, Mme Suzette.

70 SUZETTE.

Mais le petit orgueil familial ne tint pas trois minutes devant le bon sens aussitôt évoqué *Evoquer. Faire apparaître. par ces paroles de M. Valon qui revinrent à temps à la mémoire du papa : « Un latiniste c'est bon, quand il est bon, quoique ça coûte cher ; mais un savant producteur de blé, de fruits, c'est-à-dire de richesse publique*Richesse publique. On entend par ce mot ce que possède la nation., c'est encore mieux. Brave paysan sorti de là terre, attache-toi à elle ; enrichis-la pour y vivre largement ; enrichis le pays ; voilà un honneur qui en vaut bien un autre ! »

Jacques alla au concours ; il en revint avec la place de troisième dans le classement et une demi-bourse. Il choisit l'école d'agriculture.

Questionnaire

  • — Que lisait-on à la maison lorsque Suzette rentra ?
  • — A qui la lettre avait-elle été remise ?
  • — Quel était son objet ?
  • — Quel pouvait être le résultat du concours pour Jacques ?
  • — S'il était admis parmi les premiers, sur quel aurait-il à prendre un parti ?
  • — Quelles étaient les opinions de M. Valon, de François, de Charlot ?
  • — Que faisait et pensait d'abord M. Dumay ?
  • — Qu'entrevoyait-il pour Jacques, dans l'avenir ?
  • — Quelles raisons fit valoir M. Valon en faveur de l'école d'agriculture ?
  • — Quel fut le résultat du concours et que choisit Jacques ?

DÉVELOPPEMENT DES SUJETS PROPOSÉS POUR EXERCICES.

Morale.

  • — Faut-il juger les gens selon l'habit qu'ils portent ?
  • — Pourquoi ?
  • — Quels services rendent les professions manuelles ? Exemples.
  • — Quels services rendent les autres professions ? Exemples.
  • — Montrez qu'elles sont toutes honorables.
  • — La jeune fille qui travaille de ses doigts, soit à la ville, soit à la campagne, est-elle l'égale de celle qui est à un comptoir ?
  • — Est-ce l'homme qui fait la place ou la place qui fait l'homme ?
  • — Quelle profession désirez-vous embrasser, et pourquoi ?

Quand le vêtement est propre et assorti à la condition de celle qui le porte, il est sot de juger les gens plus ou moins favorablement selon le plus ou moins de valeur qu'on peut attribuer à ce vêtement. C'est aussi peu logique que d'apprécier un fruit d'après la pelure, l'arbre d'après l'écorce, les bonbons d'après la richesse de la boîte qui les contient. On doit estimer ses compagnes selon les qualités de leur esprit et de leur cœur, et les grandes personnes selon leur conduite et les services qu'elles rendent ou ont rendus à la société.

Il est de mode, dans certains milieux bourgeois, de mépriser les travaux manuels et de faire peu de cas de ceux qui s'en occupent. Volontiers ce serait, pour une femme, chose humiliante que de prendre part aux soins du ménage, à la tenue des enfants, à la culture du jardin, à l'entretien du linge, — tandis que tapoter sur un piano trois ou quatre heures par jour, courir les magasins et les visites pendant le reste du temps que laissent disponible des soins minutieux de toilette, constituerait seulement un régime de vie qu'on pût avouer.

Évitons ces travers d'esprit égoïstes et ridicules et honorons les professions manuelles.

OU IRA JACQUES ? 71

L'agriculteur donne le pain quotidien ; au maçon nous devons les maisons ; aux couturières, nos vêtements ; aux cuisinières, les aliments qui entretiennent la vie ; etc., etc. Les uns et les autres rendent d'éminents services ; témoignons que nous savons les apprécier !

Il faut avoir l'intelligence bien étroite pour faire moins de cas des jeunes filles. qui s'occupent de travaux agricoles, que de celles qui vendent ou écrivent derrière un comptoir. Les unes et les autres sont égales en mérite et ont droit à la même considération, si leur conduite et leur tenue sont pareillement estimables.

On l'a dit avec raison : « C'est l'homme qui fait la place et non la place qui fait l'homme. » En d'autres termes, on peut être honorable et honoré dans la condition la plus humble, et méprisable au sommet des grandeurs.

Instruction civique.

  • — Je vais mettre une lettre à la boîte ; que se passera-t-il jusqu'à ce qu'elle arrive à destination ? (Ne pas oublier les timbres.)
  • — Qui dirige le service des postes ?
  • — Quels avantages nous procure ce service ?
  • — S'il n'y avait pas de poste aux lettres, à quoi serait-on obligé pour faire parvenir une lettre ?
  • — Comparez cette situation avec celle qui existe actuellement.
  • — Qu'appelle-t-on lettre taxée, lettre affranchie, lettre chargée, lettre recommandée, carte postale ?

J'habite Roubaix et je viens d'écrire une lettre à destination de Bordeaux. La distance est considérable : quelque chose comme 840 kilomètres ; mais je ne m'en préoccupe guère. Je colle au coin gauche de l'adresse un timbre de quinze centimes et je jette ma lettre dans une boîte quelconque de la ville, un facteur l'y vient prendre et la dépose au bureau de poste. Là, on la timbre et on la met, en compagnie de beaucoup d'autres, dans un paquet sur lequel est écrit Paris. Le chemin de fer le transporte dans cette dernière ville, où un fourgon spécial vient prendre les correspondances et les amène au bureau central. Dans ce vaste local, des employés décachètent les paquets et classent les lettres selon leur destination. La mienne prendra place dans un gros sac qui contient toutes celles à distribuer sur le parcours de la ligne de Paris à Bordeaux.

A la gare centrale du chemin de fer, l'énorme sac est déposé dans un wagon des postes, où l'on a établi autant de casiers qu'il existe de bureaux il desservir. Pendant que le train file à toute vapeur sur le Midi, des employés répartissent les correspondances dans tous les casiers, et y ajoutent celles qu'on leur remet en route.

Voici que ma lettre parvient à Bordeaux. Elle est dans un paquet ficelé et cacheté qu'on ouvre au bureau de poste. Les facteurs y prennent chacun les lettres destinées au quartier qui forme leur circonscription ; la besogne achevée, ils entassent dans leur boîte les correspondances, soigneusement classées selon l'ordre des rues, et les remettent à domicile.

En moins de 24 heures, toutes ces opérations ont été menées à bonne fin.

Si le service des postes n'existait point, j'aurais dû charger un messager de porter ma lettre à Bordeaux; il lui eût fallu au moins 45 à 48 jours pour l'aller et le retour, lesquels, réglés à raison de 5 francs, donneraient une note finale à payer de 240 francs. De plus, ma lettre mettrait autant de jours pour arriver au destinataire qu'elle a employé d'heures. Cela suffit pour montrer les avantages de l'institution du service des postes.

(Voir sur un calendrier postal ce qu'il en est des diverses catégories de lettres, et effectuer cette recherche en présence des enfants, pour 72 SUZETTE. qu'au besoin ils sachent où sont les renseignements de ce genre.)

  • — Pourquoi est-ce un bien que l'État fonde des bourses dans les lycées, collèges et écoles ?

Tous les parents d'enfants très intelligents et très laborieux n'ont pas les ressources nécessaires pour donner à ces derniers une éducation supérieure. L'État, qui entend favoriser le développement des aptitudes chez les sujets vraiment remarquables, accorde des bourses, c'est-à-dire la faveur d'une admission gratuite dans les établissements publics d'instruction, aux jeunes filles et aux jeunes gens qui sont classés les premiers dans les concours annuels.

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